Aller au contenu

Lettre ouverte d’après confinement aux directeurs de lieux culturels de par chez nous et d’alentour et aux artistes. Nous vivons tous dans le même poème.

  • par

LETTRE OUVERTE  D’APRES CONFINEMENT 2020 AUX DIRECTEURS DE LIEUX CULTURELS DE PAR CHEZ NOUS ET D’ALENTOUR ET AUX ARTISTES.

Nous vivons tous dans le même poème.

Les Cies sont sur le flanc. Elles ont pu en 80 jours, je l’espère, faire en un rêve de théâtre la tournée mondiale des salles ! Cette rêverie pouvant devenir un texte, un spectacle : un type qui fait le tour du monde des théâtres et qui à chaque fois recrée une histoire magnifique. Il est heureux, il fait son métier, on l’écoute, les responsables lui sourient et après le spectacle, mêlant les langues et les langages il fait, non pas un « bord de scène » mais un « comptoir » parce que après avoir joué, il a soif. Il est heureux, et comme une nouvelle loi a soldé la présence des agents de sécurité pour confier à tour de rôle la clé du Théâtre à un spectateur, la discussion, les discussions peuvent se prolonger jusqu’au bout de la nuit ; si la fatigue aussi est repoussée, il retourne sur scène avec le dernier carré des couche-tard, et enthousiasmé à l’idée de tenter quelques improvisations avec eux.

Si le rêve a été contrarié au point de ne pas exister du tout, et chacun dans les Cies n’ayant été relié à rien pas même parfois à son imaginaire, les images sont tombées jour après jour dans leurs métaphores. L’acteur est chez lui comme sur un ponton, mais pas de marées prévues ni d’embarcation disponible… Et puis finalement à quoi bon retourner dans le grand bain si c’est pour se prendre les vagues artificielles d’un immense bateau (appelle-t-on ça encore comme ça ?) de tourisme, ou bien pour être pris dans les filets d’un industriel de la pèche ?…

De ces deux postures, il doute, et le souvenir des vidéos « On est là ! »,  sympathiques toutefois, ne lui a laissé aucun goût dans le cœur.

Pourtant l’artiste, l’artiste créateur, disons un gars comme moi, se dit toujours que la culture c’est le domaine de tous –et que certains traduisent-.

C’est peut-être là qu’il y a quelque chose à revoir : se comprendre, quels que soient les langages, parce que les langages (qui ont tous le même âge pour peu qu’on les parle) se réinventent sans cesse, et qu’ils ne peuvent être contenus dans un seul qui serait celui de la culture et que d’ailleurs dénonce fort habilement Ruben Östlund dans « The Square » (Palme d’Or à Cannes 2017).

La chanson est très connue, et depuis 40 ans ; allez 30, Depuis la disparition des Cies permanentes en danse, en théâtre !… Je me souviens de la révolte des intermittents en 2003. Je pense que ça été la grande cassure entre l’administration et l’artistique. Les artistes ont dévalé la pente, certains s’accrochant aux branches ou ayant effectué une telle pirouette qu’ils se sont fondus dans la troupe administrative.

Que sait-il faire, l’artiste (disons un gars comme moi) ? Jouer, mettre en scène, écrire, lire, défendre son art ? Qui s’en souciait ? Qui va s’en soucier ? Et surtout, comment ? Est-ce que les mots vont pouvoir retrouver leurs places, ajustés par les échanges, polis par les regards et les intelligences, et sautant sur des mines d’imagination ? Ça s’rait bien, dis-donc !… Et toi, Monsieur le Directeur, quels projets sur le plateau là-haut ? Des lectures ? Des manuscrits ? 80 jours ! Je crois que je ne suis pas bien reçu, qu’il faudrait une sonorisation qu’un écho m’amplifie davantage, au-delà de la vallée où j’ai glissé…

Ah, comme j’aimerais avec mes camarades –artistes libres- profiter d’un POT (un Plan d’Occupation des Théâtres), et qu’on laisse entrer et sortir les artistes, qu’on les engage, qu’ils éclairent la cité ! Et que nos contemporains aient subitement envie d’aller au théâtre comme on va aux urgences, avec de la peur et de l’espoir !

Une vraie éthique à partager pour être tous acteurs du monde, à l’écoute du monde ! Pourquoi Proust est-il célèbre ? Parce qu’il a écouté le monde à travers son monde, il a entendu les hommes et vu leurs manières, mis les siennes dans le jeu ouvrant ainsi le roman pour une éternité, semble-t-il…

Les poètes ne cèdent pas, jamais ; ils grattent et creusent sans cesse leurs univers et en écrivant cette lettre ouverte j’ai l’impression de jouer mon rôle aussi, comme savent le faire encore certains directeurs de théâtre (et j’en connais que j’admire). Et puis, et je crois que  ce qui motive  cette lettre, c’est ce que  j’ai lu dans « La lettre du spectacle » : une déclaration de Thomas Jolly directeur du Quai et du Centre Dramatique National d’Angers (où j’ai d’ailleurs eu la chance de jouer à plusieurs reprises (la dernière fois dans « Portrait d’une femme », création par Claude Yersin de cette pièce formidable de Michel Vinaver, avec entre autres la merveilleuse Elsa Lepoivre…), bref (ça me fait plaisir de me rappeler ce souvenir), donc Thomas Jolly qui est avant tout comédien/metteur en scène a annoncé qu’il ne ferait pas de plaquette pour la saison à venir, pas d’abonnements non plus, et qu’il allait avec des artistes –nombreux- inventer des formes qui apparaîtront ici et là dans la ville, qu’il allait faire surgir des textes et tous les arts… Sa réflexion est en cours et je suis tellement heureux de cette prise de position qui bouleverse enfin l’ordre établi et veut sans artifices ni calculs nous mettre en présence les uns des autres.

Je ne croyais plus à cette possibilité au sein d’une « structure » telle que la sienne, où très souvent la surenchère des plaquettes luxueuses et vides et le taux de remplissage font depuis si longtemps les terribles parenthèses des saisons !

Merci Thomas Jolly !

Rencontrons-nous !

Et vous aussi, directeurs de lieux culturels (ah, comme j’aimerais dire THEATRES !) , artistes de par chez nous et alentour, hissons ensemble les voiles, et soufflons ! Soufflons !

Nous vivons tous dans le même poème.

François Béchu,

Responsable artistique du Théâtre de L’Echappée à Laval.